La Cachemaille

par

Claude-Emile Renaud


     Ceux qui prétendent que les Poitrasson c'est de la saloperie de monde, pas seulement bons à fréquenter, ne sont pas dans la vérité, et moi qui les connais du depuis au moins vingt ans je peux affirmer qu'on peut trouver bien pire, et que si tout le monde étaient seulement comme eusses, il ferait meilleur vivre, pour sûr !
Ils restent toujours au même endroit, en rue du Doyenné, au cintième, on peut dire qu'ils sont connus de la Quarantaine à Vaise et que personne ne peuvent dire du mal d'eusses ; bien qu'ils se saoulent et se battent de temps à autre comme tout le monde, mais rien de plus.
Lui, fait le matelassier, l'hiver dans un vieux magasin noir de la rue Ferrachat, l'été, sur le bas port, contre les Célestins elle, fait des ménages et pis aussi du rempaillage de chaises comme vous le voyez, c'est pas des bras neufs, c'est du bon monde qui travaillent comme des massacres et sur lesquels il n'y a rien de dire.
En réalité, leurs soûleries ne sont pas bien graves, sauf quand d'hasard ça tombe qu'ils le sont tous les deusses de collagne, mais c'est rare, le plus souvent ça leur z'y arrive chacun à son tour.
Quand c'est lui qui a un coup de soleil sur le coquelichon, ça se passe en chansons, le père Poitrasson étant connu dans le quartier pour sa belle voix de basse, laquelle est censément aussi creuse que celle de Boudouresque qui chantait au Grand Thiâtre dans le temps, mais en plus fort.
Ce sapré matelassier a un bourdon si tellement conséquent que la moindre barcarolle fait brandigoler les assiettes et les verres dans les placards, jusqu'en rue du Boeuf, et pour sûr que s'il avait chanté le soir de la catapostrophe de Saintjean, manquablement on aurait dit que c'est rapport à lui que le Chemin-Neuf s'est abousé sur le Petit Versailles. Le plus pire, c'est quand il se met à chanter Robert le Diable, vous savez ben, le passage quand il demande aux Nonnes et leur z'y gueule "m'entendez-vous ?".
Pour sûr qu'elles devaient entendre quand même qu'elles reposaient sous leur froide pierre, les pauvres filles, à moins d'être sourdes comme des tupins, car je vous promets qu'on l'entendait, lui, des Epies, et même jusqu'en rue des Farges ! Quand c'était elle qui était fiole, c'était tout l'incontraire elle avait le coeur si tellement gonfle qu'elle pensait à ses vieux et chougnait attenant ; plus elle avait son taf, plus elle se repensait à ceux qui étaient défuntés du depuis des éternités ; alors elle pleurnichait après son arrière grand-père Tonin, qui était établi serrurier aux Chevaucheurs dans le temps et qu'elle n'avait pas connu ; ou ben à sa tatan Maria, une catolle qui faisait la sage-femme en Serin du temps de l'Empereur.
Ces soirs-là, le père Poitrasson, qui n'avait pas son compte, ne chantait pas, il écoutait, en fumant sa pipe, chougner sa femme qui s'égouttait dans son mouchoir, lui, entendant ainsi raconter, pour la trente-six millième fois, ça de ses grands ; à la fin du compte, ça l'émouvait aussi, cet homme, et il allait se coucher en reniflant attenant.
Mais quand d'hasard ils étaient fioles de collagne, alors, pauvres gens, c'était une autre affaire. Comme de bien s'accorde, lui chantait à gorge d'employé, hurlant après les nonnes pour savoir si elles entendaient ; pendant ce temps, sa femme, la Bélonie, chougnait à plein bachat sur ses grands et, comme elle pleurait à tue-tête, il haussait la voix pour la dominer ; en été, quand les croisées étaient ouvertes, ça devenait terrifiant ; le monde croyaient alors qu'il allait faire d'orage et même, une fois, on a fait peter le canon à Sainte-Foy, crainte de la grêle !
Bien sûr, à force de vouloir hurler plus fort l'un que l'autre, il arrivait qu'ils n'avaient plus la mogne de toujours monter; C'était toujours lui qui s'arrêtait de piauler le premier, alors il allongeait une bonne calotte à sa femme pour la faire taire ; mais, tout à l'incontraire, ça lui encourageait son chagrin et elle guinchait si tellement fort qu'à la gare Perrache on n'entendait plus siffler les trains.
Alors, tout en chantant les z'Huguenots ou ben l'Africaine, il lui tapait dessus en cadence, et la batture commençait ; ça durait des fois une bonne demi-heure, trois quarts d'heure au plus et, par après, ils se couchaient éreintés, la gaugne sèche d'avoir tant braillé.
Les voisins se donnaient pas peur, chacun ses affaires, pas vrai ! mais quand ça cognait trop fort, ils entrouvraient leur porte palière, histoire de se distraire un moment. A part ces petites coincidences de soûleries, les Poitrasson faisaient bon ménage et on ne les entendait guère. Un soir, c'était en 1929, le père Poitrasson qui lisait son journal à cha ligne, sans rien sauter, se met tout par un coup à dire: " Il para¼t qu'il y aura une Exposition Coloniale à Paris en 1931, ça serait rien champêtre si on pouvait aller s'y propager tous les deusses, pas vrai Bélonie ? ". En entendant ça, la mère Poitrasson qui avait quelques ouches par-ci par-là ne put s'empêcher de rebriquer : " Ah! mon pauvre homme, avant de penser à se bambanner à travers les Expositions, on ferait mieux de payer nos dûs". C'était bien pensé, on ne peut pas dire l'incontraire, et ça prouvait que la Bélonie avait du bon sens à regonfle mais l'autre tenait à son idée. On a déjà raté celle de 89 et celle de 1900, si on rate encore celle-là, c'est fini, on sera par après trop vieux pour courater si loin, tant pire, crève l'avarice, on ira ! - Mais comment feras-tu, pauvre homme, ça coûte des milles et des cents, ces affaires-là ! - J'ai mon idée, que reprit le père Poitrasson, on achètera une cachemaille en terre, y en a de belles et pas chères chez les espiciers, et à cha peu on y mettra des sous dedans nous avons deux ans devant nous, c'est ben le diable si, au bout de ce temps-là, on n'a pas ramassé de quoi faire le voyage. Comme ces cachemailles n'ont ni porte ni serrure, ajouta-t-il, on ne pourra pas se dédire, ni retirer ça qu'on y aura mis dedans ; comme ça on arrivera au quinze août 31, tout plan plan, on cassera la cachemaille, et en avant la vogue ! On filera à Paris comme les bourgeois du quai Tilsitt ! Devant ce beau projet, la Bélonie resta couâme et finit par convenir que c'était une chose de faire et qu'au surplus on se porterait mieux de pas tant ficher, lui, des canons de vinasse, elle, des petits verres d'arquebuse ou de riquiqui, toute l'argent de la buverie passerait dans la cachemaille. Ce fut touchant, c'était comme qui dirait un événement historique ; la soirée se termina dans un grand attendrissement. Mais ce qu'il y a de plus fort, c'est qu'à partir de ce moment-là, on n'entendit plus, dans la maison, ni les z'Huguenots, ni l'Africaine, et les Nonnes de Robert le Diable purent reposer en paix sous leur froide pierre, sans qu'on leur z'y gueule après ; plus de ramamiaux, ni de chougnerie non plus sur la tatan Maria, oubliée au cemitière en compagnie du grand-père Tonin, le serrurier des Chevaucheurs. Les voisins n'y comprenaient rien, et ceux que les battures amusaient parlaient d'aller se plaindre au regrettier et lui demander de leur z'y poser la tecefesse, pour remplacer !
Au monde qui venaient les voir, les Poitrasson montraient la cachemaille, faisaient gasser la monnaie en la secouant et ils disaient : "L'Exposition Coloniable est en train de se construire à cha billet dans cette belle poire dussèche ; au 15 août 193 1, on lui cassera la bredouille et on filera à Paris !" Les gens en louchaient et se pensaient que ces Poitrasson étaient esprités comme tout et économes comme pas un, beaucoup les citaient en exemple à leurs mamis pour leur z'y donner le goût de l'épargne.
Chaque fois qu'il avait fini un matelas, le père Poitrasson mettait un billet de cinq francs ou même de dix francs dans la poire; quand elle avait touché, le montant d'une chaise ou une semaine de ménage, la Bélonie mettait une pièce de quarante sous, trois francs, car par un accord tacite, c'était lui qui mettait les billets, elle la monnaie, ça marchait comme sur des roulettes et, à ce train-là, ils pourraient facilement en prendre un de plaisir à Perrache, en temps voulu.
Ce fut par là vers le jour de l'an 31 que les choses se gâtèrent. C'est la Bélonie qui commença, il faut bien le dire, car les femmes sont charippes en diable, comme chacun sait !
Un jour qu'elle avait besoin de monnaie pour payer l'homme du gaz, un espèce d'imbécile qui tombait toujours à faux, elle eut la dangereuse idée de grabotter avec une épingle à cheveux dans la fameuse cachemaille, laquelle trônait, en beau devant sur la commode, franc à côté du globe contenant la fleur d'oranger de ses noces.
L'homme du gaz attendait sur la porte avec une figure malhonnête, car il n'était pas rien bien poli ; aussi, la Bélonie ne voulut ni le faire attendre, ni lui demander la carte, car ça le faisait gongonner d'être monté au cintième pour rien ; aussi, avec l'adresse du désespoir, elle arriva à pincer une pièce de quarante sous par la fente, avec son épingle à cheveux, et à la retirer ; elle la donna à l'homme du gaz pour faire l'appoint. Cette réussite, relativement facile, lui donna peur ; elle se jura de remettre la pièce dès le lendemain et, rassurée sur ce point, elle fit taire ses remords ; bien entendu, elle ne souffla pas pipette de toute cette affaire à son époux, sûre, que ça ne serait pas de connaître.
En effet, au bout de quelques jours, elle renquilla fidèlement les deux francs quelle avait pris. Quelque temps après, un jour qu'il était seul à la maison, chômant par force, faute de matelas à carder, le père Poitrasson eut envie d'aller prendre un canon avec des amis qu'il savait manquablement trouver, à cette heure-là, chez un petit bistro du quai Fulchiron. Il fouilla ses poches les unes après les autres et ne trouva qu'une malheureuse pièce de quarante sous ; ce n'était pas assez que faire ? Tout à coup, ses yeux tombèrent sur la poire bien jaune et bien rouge qui s'étalait sur la commode : "Bah ! fit-il, je vais tâcher moyen de tirer un billet par la fente, je le remettrai par après, ça sera qu'une avance... et pis d'abord, c'est moi qui les y ai mis, j'ai bien le droit de les reprendre pour quelques jours ?".
Ayant trempé une vieille baleine de corset dans un pot de pège, il introduisit son engin dans le golet, et, après avoir un peu grabotté dans la cachemaille, il retira, non sans difficulté, un billet de dix francs.
Tout content, il mit en place, et pour étouffer ses remords, la pièce de quarante sous qui se bambannait dans sa poche. "Comme ça, fit-il, c'est plus qu'une avance de huit francs et l'Exposition Coloniable aura lieu quand même!".
A partir de ce moment, ce fut un véritable commerce.
La Bélonie prit dans la cachemaille pour payer l'eau, puis pour payer le rompu du charbonnier; par après, elle pêcha pour boire du riquiqui chez l'espicière ; bien sûr, elle remettait ben de temps en temps, mais c'étaient des sous qu'elle déposait dans la poire au lieur de pièces de quarante sous comme avant.
De son côté, le père Poitrasson, qui avait trouvé commode le truc d'emprunt à la colle qu'il faisait à la cachemaille, pêchait avec sa baleine gommée des billets de dix francs tant que dure dure, et ne remettait, censément, que des billets de cent sous et même des fois des pièces de vingt sous.
Quand on secouait la cachemaille, le soir, pour lui prendre sa température, ça faisait un bruit de ferraille pire que le tramevet de Francheville, tant il y avait de billon et de menue monnaie dans la poire. La Bélonie s'étonnait ben un peu de toute cette sonnaille, mais elle n'osait pas en parler à son mari, comme de juste. D'un autre côté, le Poitrasson se disait en lui-même " Pauvre femme ! je lui bois son Exposition à cha peu, je suis un dégoûtant ! Elle qui met des sous à regonfle ". Alors, plein de remords, il mettait un billet de cinq francs qu'il repêchait avec sa baleine deux jours aprés ! Cet amphigouri dura encore des mois; la Bélonie, qui petafinait la cachemaille bien souvent pour écouter si ça gassait dedans, eut la surprise, un jour, d'entendre un carillon très affaibli."Pauvre homme, quelle se pensa, je lui dessampille son Exposition avec mon riquiqui, et voilà maintenant qu'il y a si tellement de billets dans la poire que ça empêche d'entendre chanter la monnaie !" Alors, en se forçant, elle mit au moins quinze sous d'affilée en trois jours !
Enfin, de bric ou de broc, on arriva sans s'en douter au mois d'août.
Un soir, Poitrasson, qui était à la bonne, dit tout par un coup que c'était le moment de casser la cachemaille, afin de voir les possibilités qu'on aurait et de faire des préparatifs en conséquence. Quand il eut fini sa pipe, il se leva avec solennité, alla dans la souillarde d'où il revint avec un marteau, puis il prit la fameuse poire et la mit sur la table. La Bélonie n'avait pas un poil de sec, et cherchait dans sa tête combien il pouvait y avoir ; elle s'épouvantait et se grossissait ses larcins, s'imaginant qu'on ne trouverait que quelques malheureux sous et une masse de billets. Que dirait alors son mari ? Lui, tout en faisant l'artignol, n'était pas rien bien rassuré non plus ; se souvenant de ses pêches à la baleine, il se demandait combien il pouvait rester de billets, noyés dans une masse de pièces de quarante sous, qu'il supposait énorme ! Enfin, après avoir brandi son marteau avec lenteur, il l'abattit, coup sec, en criant : "Pète qui a peur" ! sur la cachemaille qui s'écramailla en mille briques. Vite, ils se mirent à compter, mais ce ne fut pas facile, car il y avait des petits sous autant que dans le tronc de Saint-Expedit, et quelques billets, si tellement collés et arrapés les uns après les autres que ça faisait un vrai caton !
Après avoir décamoté les billets avec précaution, ils virent qu'ils avaient, en tout et pour tout, une septantaine de francs et un rompu!
Voyant ça, la Bélonie prit l'offensive:
- Comment que ça se fait, quelle lui dit, qu'il n'y a plus de billets, quasiment; tu en mettais pourtant souvent ; c'est-y que tu les retirais, et c'est-y-pas pour ça que ceux qui restent étaient z'arrapés ensemble comme de pruneaux ?
- Comment donc que ça se fait, que rebriqua Poitrasson, qu'il y a tant et tant de petits sous de cinq centimes, et si peu de pièces de quarante sous ; c'est-y que tu les tirais par le golet, vieille voleuse !
A ces mots, la Bélonie se leva, et prenant son élan s'élança sur son mari, juste pour recevoir une calotte qui l'envoya dinguer sur le fourneau; alors ce fut une batture mémorable !
Les gifles, les coups de grollons entrèrent en danse, les casseroles et les assiettes prirent leur vol à travers la chambre ; en un clin d'oeil, ce n'était pas le quatrième acte des z'Huguenots qui se jouait à côté, pas plus, d'ailleurs, que Robert le Diable !... Alors ils sortirent sur le carré pour écouter l'épouvantable siccoti que faisaient les Poitrasson. Pour agrémenter le spectacle, ils essayaient de deviner au bruit que faisaient les objets en s'éclapant contre les murs, quels étaient ces objets : " Ploc !... ça c'est une soupière, pour sûr. Crac, pataboum, ding!... ça, c'est manquablement le réveil matin !". C'était un jeu bien champêtre comme vous voyez. Mais quand d'hasard ça cognait contre la porte palière, alors, pauvres amis, fallait voir les voisins s'ensauver et rentrer chacun chez eux, crainte de recevoir un bon poron dans la bourdifaille ! Enfin, quand tout fut cassé, et qu'ils se furent bien calottés à regonfle, la batture se calma et bientôt on n'entendit plus rien. Le lendemain, la Bélonie s'amena pour faire ses commissions avec deux yeux au beurre noir, qu'on aurait dit franc qu'elle portait des lunettes fumées comme celles qu'on met pour voir passer l'éclipse, mais elle faisait de beaux sourires pour faire croire au monde qu'elle n'avait pas de mal et que, dans son ménage, c'était toujours lune de miel, caresses et mamours !
De son côté, le père Poitrasson avait la gaugne si enfle que le monde lui conseillaient d'aller chez le dentiste !
Mais ce n'était pas tout ! Ça n'était que béatille à côté de la suite ! Quoi donc qu'ils allaient faire ? Ils avaient raconté partout qu'ils partaient à l'Exposition Coloniable pour le 15 août, et maintenant, avec septante francs et un rompu pour deux, on ne pouvait pas partir, rien à faire ce n'était pas la peine d'essayer.
Ce fut alors que le père Poitrasson proposa, un soir, à sa femme, un peu avant le 15 août, de se desembringuer de la manière suivante :
- On est forcé de s'absenter, Bélonie, qu'il fit avec dignité sans ça tout le quartier nous couillonnerait jusqu'à la fin des siècles, il n'y a qu'une chose à faire... partir !
-Mais où et avec quoi ? gémit la Bélonie; c'est pas rien avec septante francs et un rompu que nous pourrons aller nous propager dans un hôtel, même rien qu'un jour !
-Voilà ce qu'on va faire, que rebriqua Poitrasson, qui avait d'ème ; on ira chez ta marraine à Saint-Didier au Mont d'Or et, comme elle est près de ses sous, on lui portera, pour la calmer, un saucisson et une bouteille d'arquebuse; on y restera trois ou quatre jours, pis on reviendra fiers comme Artaban; le monde croiront que nous sons allés à l'Exposition Coloniable, nous raconterons des gandoises pas trop détaillées et le tour sera joué !
Ce beau programme s 'exécuta dès la veille du 15 août.
Après avoir fait semblant d'aller à Perrache, le ménage Poitrasson fila à Vaise et, avec une correspondance, gagna Saint-Didier. Le lendemain, jour du 15 août, il en tombait comme qui la jette, une vraie radée du déluge, ce qui consola un peu la Bélonie : " Vois, dit-elle à son homme, on aurait fait un pied-failli d'aller à l'Exposition par un temps pareil, c'était de l'argent perdue ".
Le 16, qui tombait un dimanche, comme le temps s'était levé dans l'après-midi, les Poitrasson partirent chercher des champignons et des escargots ; on peut dire que c'étaient des légumes de saison, pour sûr ! Ils en avaient déjà ramassé un plein cabas, tout mélangé, lorsque tout par un coup, Poitrasson se trouva nez à nez avec un gone qui restait franc à côté de chez eusses ! " Eh ben! en voilà d'une rencontre! que fait le voisin, et moi qui vous croyais à Paris ? C'est-y que vous êtes déjà revenus, on pourra dire que vous aurez vu l'Exposition à la va-vite ", qu'il ajouta en riant.
Le père Poitrasson et la Bélonie avaient censément le sifflet coupé ras le corgnolon, ils ne trouvaient rien à rebriquer à ce t'imb'cile qui continuait à les arregarder en rigolant ; enfin Poitrasson balbutia des mots embrouillés, une réponse évaseuse, disant qu'ils avaient changé d'avis, qu'avec le beau temps valait mieux aller à la campagne que de s'enfermer dans une Exposition et patali et patala !
L'autre ne crut pas un mot de l'histoire et rentra, tout courant à Lyon, raconter dans tous les cafés du quartier que les Poitrasson visitaient l'Exposition Coloniable à Saint-Didier au Mont d'Or en ramassant des escargots ! Ce fut une belle rigolade.
Aussi, quand le ménage rentra au bout de quelques jours avec un plein cabas d'escargots, ils furent gandoisés par tout le monde; on n'abondait pas de les questionner sur l'Exposition, et eux, tout marmiteux, bavaient comme leurs escargots et n'avaient que la ressource de se tiripiller chez eusses le soir, se rejettent ce pied-failli l'un sur l'autre. C'est du depuis ce moment qu'on surnomma Poitrasson "le Colonial", et ce soubriquet lui colla tellement bien sur le dos que jusqu'au fond de Vaise on ne l'appelle pas autrement; manquablement, il emportera ce nom au cimetière où il finira bien par aller comme tout un chacun. Si d'hasard vous avez un matelas à refaire, n'allez pas demander après Poitrasson ; personne ne sauraient ce que ça veut dire ; demandez "le Colonial", et tout le monde vous donneront son adresse, c'est comme qui dirait sa marque de fabrique, quoi!